Alexandre Moine
Le silence et la profondeur de l’inconnu, c’est de cette manière que le Forum Transfrontalier abordait cette mise entre parenthèses due à la crise sanitaire liée au coronavirus à la mi-mars. Alors que le déconfinement est à l’œuvre un peu partout en Europe et qu’on entrevoit une réouverture des frontières entre la France et la Suisse à la mi-juin, nous pouvons commencer à mesurer l’impact de leurs fermetures durant près de deux mois.
C’est à différentes échelles qu’il faut tout d’abord analyser la brusque rupture de liens que nous venons de vivre. Le confinement est d’abord une affaire locale gérée à l’échelle des ménages qui ont modifié brutalement leur manière de se déplacer, de travailler, de consommer avec une conséquence qui nous a tous saisi.e.s, le magnifique silence qui nous a enveloppé. A cette échelle, point de conséquences transfrontalières profondes si ce n’est l’arrêt des flux de consommateurs suisses vers la France avec par conséquent un double impact sur les commerces français, privés de leurs clients français durant le confinement et de leurs clients suisses au-delà de leur réouverture. Cependant, les déplacements des frontaliers se sont réduits considérablement avec les mesures de chômage dans les entreprises suisses.
C’est ensuite une échelle nationale qui s’est imposée avec la progressive fermeture de la plupart des frontières dans le monde et son corollaire spectaculaire, l’arrêt des mouvements aériens et de l’essentiel des mouvements terrestres, alors que les politiques mises en œuvre pour affronter le virus étaient très variées. Notre frontière n’a pas échappé à ce mouvement de fermeture, néanmoins partiel.
La question est ensuite régionale, au sens de l’Arc jurassien transfrontalier et de ses aires de coopération privilégiées. A cette échelle les acteurs politiques de la coopération ont pris position dès le 8 avril pour constater les soutiens économiques apportés en France et en Suisse, les mouvements de solidarités engagés pour accueillir des patients sans frontière et le maintien des mouvements de travailleurs frontaliers ; rappelant au passage l’importance de la coopération transfrontalière.
Mais justement, la coopération ne va-t-elle pas marquer le pas, alors que la crise économique systémique s’abat tout aussi brutalement que le virus, sur nous ? Les milliards d’euros et de francs de soutien engagés pour soutenir les entreprises auront à n’en pas douter des conséquences sur les moyens consacrés à la coopération transfrontalière comme le souligne Stéphane Berdat dans cette News Letter.
Et c’est en définitive à l’échelle des entreprises que se joue l’après crise, celles qui emploient, celles qui fournissent des biens et des services, elles qui imaginent des scénarios pour se développer toujours plus dans un environnement mondialisé dont on a pu mesurer l’extrême fragilité. A ce titre, Jacques Jacot-Descombes revient avec beaucoup de lucidité sur la question du Swiss made à l’épreuve de la mondialisation et donc de la crise, mais peut-être tout simplement et inévitablement à l’épreuve de la vérité !
Il est frappant de constater combien nous nous sommes imaginés qu’une nouvelle manière de concevoir le développement, le vivre ensemble allait s’avérer, alors qu’en lieu et place la sombre réalité de la crise économique nous rattrape. Dès lors, notre engagement dans une culture qui se joue des frontières nous sauvera-t-elle des sombres pensées qui pourraient nous habiter… je le crois tout comme je crois encore une fois à notre action transfrontalière, riche d’innovation, dynamique, curieuse et impertinente.
Alexandre MOINE, Président du Forum Transfrontalier Arc jurassien
Besançon, le 9 juin 2020