François Mennerat
C’est fin 2018, début 2019 que le « projet Lyria 2020 » avait commencé à faire l’objet de rumeurs, malheureusement vite confirmées. Compte tenu des délais nécessaires pour réserver les sillons attribués aux circulations dans un système d’horaires complet, il n’échappe à personne qu’un bouleversement de cette ampleur avait demandé une préparation d’au moins deux années. Elle s’était effectuée dans l’ombre, sans consultation des élus territoriaux, notamment, et encore moins des usagers et de leurs représentants reconnus. Cette préparation technique s’était en outre accompagnée de l’élaboration d’éléments de langage en vue d’une campagne de communication massive destinée à étouffer délibérément toutes les objections qui, on le savait, seraient inévitablement levées.
Fondamentalement, la SNCF, majoritaire, peut imposer à Lyria sa stratégie propre visant à réserver désormais les circulations de TGV aux liaisons entre métropoles et autres grandes villes, au détriment des agglomérations de moindre importance, par une flotte de TGV qui ne comprendra bientôt plus que des rames à deux niveaux dites Duplex afin de massifier le transport des voyageurs à grande vitesse. C’est oublier que la fréquence des circulations sur un itinéraire donné est beaucoup plus important pour l’attractivité de l’offre que le nombre total de places.
Depuis plusieurs années et ce jusqu’au 14 décembre 2019, l’offre de trains directs « à longue distance » (Paris – Lausanne via Dijon ou vice versa) comportait 4 allers et retours quotidiens, et même cinq les vendredis et les dimanches, dont 3 donnant correspondance à Frasne vers ou depuis Neuchâtel par Pontarlier. Elle est désormais réduite à 3. Lyria fait valoir qu’en compensation, il y a désormais 3 allers et retours quotidiens Lausanne – Paris via Genève, en prolongement de 3 Genève – Paris (sur 8) qui ne mettront que 17 mn de plus que via Vallorbe et Frasne (3 h 57 au lieu de 3 h 40). En outre, malgré le remplacement des rames à un seul niveau par des rames Duplex de capacité supérieure, l’offre en places via Frasne a été considérablement réduite. Au regard de la politique avérée de la SNCF, on peut (on pouvait ?) raisonnablement craindre la suppression à terme de tous les TGV tracés via Vallorbe et Frasne.
Aussi grave sinon plus que la suppression d’un aller et retour Lausanne et Paris via Vallorbe et Frasne, voire de deux puisqu’il y en avait donc cinq certains jours, le mauvais positionnement de certains des nouveaux horaires est très défavorable aux habitants suisses et français du massif jurassien.
Intervient alors, au printemps 2019, Michel Béguelin, personnalité suisse qui avait été successivement cheminot et syndicaliste, conseiller national puis conseiller aux États. Son intervention permet enfin d’infléchir le cours des événements. Il avait joué un rôle majeur dans la rédaction de la Convention conclue le 5 novembre 1999 entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française, puis ratifiée par voie législative par les deux parties. Cette convention toujours en vigueur avait été superbement ignorée par la SNCF, les CFF, et les administrations tant française que suisse.
Cette question est portée à l’ordre du jour de la rencontre annuelle entre diplomates suisses et français, qui provoque la saisine de l’Office fédéral des transports et le rappel des opérateurs à l’ordre. En juillet 2019, Lyria, la SNCF et… les CFF, sans toutefois remettre en cause dans l’immédiat le funeste plan Lyria 2020, acceptent subitement de prendre en compte les besoins et les attentes des habitants du massif. Lors d’une réunion à Dijon le 4 juillet 2019, le président suisse de Lyria se sent même obligé de présenter humblement ses excuses pour n’avoir pas tenu compte des besoins des usagers. Lyria et la SNCF proposent d’étudier avec le conseil régional de la grande région la circulation de TER supplémentaires entre Vallorbe et Dole, ainsi que des adaptations horaires de TGV (non Lyria) pour tenter de pallier au moins partiellement les inconvénients mentionnés ci-dessus. La SNCF propose ainsi de financer elle-même (en suppléant la grande région) la création de diverses relations TER nouvelles dans des horaires permettant de rétablir une amplitude utile plus importante, exprimant la volonté de mieux répondre aux attentes exprimées et pas uniquement d’offrir une quelconque et hypothétique substitution.
Il nous faut rester particulièrement vigilants quant aux critères qui prévaudront pour évaluer le succès ou non de cette offre arrachée aux opérateurs. À court terme, la restauration d’une 4e desserte TGV reste un objectif inexpugnable.
Vient enfin le 15 septembre 2020 la 80e assemblée générale annuelle de la Fédération du Trans-Juralpin (FTJA), et la vigueur des propos tenus notamment pas les élus suisses, confirmés par le représentant régional français, auxquels répond l’attitude nouvelle des opérateurs ferroviaires permet d’entrevoir un avenir prometteur pour la ligne Dijon – Lausanne. La bonne volonté semble enfin de mise, et la nécessité du retour du 4e aller et retour Lyria via Frasne est désormais formellement admise même si aucune échéance n’est encore avancée dans le contexte difficile que nous traversons. D’ores et déjà, le nouvel état d’esprit du Conseil régional s’est traduit par le rétablissement d’un aller et retour Pontarlier – Frasne – Dijon sans rupture de charge du lundi au vendredi.
Demeure et demeurera sans doute encore longtemps une divergence patente entre les approches françaises et suisses en matière de transport ferroviaire. Tandis qu’en Suisse on a compris depuis longtemps l’importance cruciale d’assurer une fréquence importante et un cadencement de l’offre, seuls à même d’attirer et de fidéliser une clientèle, la France en reste en la matière au malthusianisme instauré lors de la 2e guerre mondiale. On y concentre encore trop souvent les circulations sur les pointes quotidiennes, avec le cas échéant des trains lourds mais rares que la réglementation administrative appelle et favorise. Ce n’est pas l’actuelle politique de facturation des « sillons » horaires qui permettra de renverser cette déplorable attitude. Quand comprendra-t-on enfin, par exemple, que si l’on n’a pas de train pour revenir, on ne prend pas le train pour partir ? Nos lignes transfrontalières sont toutes fragilisées par cet état d’esprit côté français. Ce constat est permanent entre Porrentruy et Belfort, entre La Chaux-de-Fonds et Besançon, entre Neuchâtel et Besançon, et entre Lausanne et Dole. Mais, amis suisses, c’est également devenu vrai ailleurs en France entre les régions avant même qu’elles soient devenues grandes. La contrepartie du succès des TER (trains express régionaux, maintenant transports express régionaux) est la raréfaction des liaisons inter-régionales : il semblerait qu’il y eût, involontairement, une certaine incitation au confinement.
À Rix-Trébief, Jura, France, le 18 novembre 2020
François Mennerat
membre de l’Association Forum Transfrontalier Arc jurassien
membre du bureau de l’Association pour la promotion des voies ferrées jurassiennes (APVFJ)
et à ce titre de la Fédération du Trans-Juralpin (FTJA)
membre du conseil national de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT)
et vice-président de sa composante régionale (FNAUT – Bourgogne Franche-Comté)