Mon cher Jacan, je ne sais pas quel est ton carburant, mais il est diablement efficace. Ce doit être un composé d’enthousiasme, à coup sûr, de curiosité, pour nourrir ta soif inextinguible d’exploration, et de plaisir aussi, ou est-ce une injonction profonde de transformer en projets concrets le produit de tes réflexions, de tes découvertes ou de tes intuitions.
A bientôt 90 ans, la crise sanitaire t’inspire et stimule tes neurones. Tu vois dans les comportements nouveaux qu’elle a induits un marqueur des temps à venir, des temps dont tu te soucies malgré ton âge avancé. Pour moi, tu es un modèle. Je veux aller vers l’âge de raison en me rappelant ta manière d’être à l’affût.
Mon cher Jacan, toi qui a grandi à Porrentruy, à deux pas de la frontière, qu’il te plait de savoir poreuse sans doute pour l’avoir connue infranchissable pendant la guerre, sais-tu que durant le premier confinement, et même après, je n’ai entendu personne, je dis bien personne, se plaindre qu’elle ait été à nouveau hermétiquement close. Comme si son franchissement était au mieux un divertissement – forcément inadéquat en temps de crise-, ou pire une trahison, mais jamais une nécessité. Or, habiter à proximité de la frontière, et pouvoir la franchir à ma guise, a toujours été pour moi une raison suffisante de planter ma tente dans ce coin de Suisse plutôt qu’ailleurs. Il me plait de changer d’air quand la monotonie des lieux devient trop pesante, et j’aime l’idée de pouvoir le faire à deux pas de ma cabane. Sommes-nous nombreux à penser ainsi, je me prends à douter.
Mon cher Jacan, ce n’est pas à toi, pirate du Pont d’Able, que j’apprendrai que nous sommes en période de St Martin et du menu pantagruélique (pas moins de 8 plats) qui porte son nom. En temps normal, on vient de partout, parfois par cars entiers, pour faire ripaille dans ce pays d’Ajoie qui t’a vu naître. Or cette année, à cause des restrictions imposées par la crise sanitaire et la fermeture des restaurants, il n’y pas eu de St Martin digne de ce nom. Bon gré mal gré, les gens d’ici s’en sont accommodés, tristes ou résignés. Jusqu’au jour où des restaurateurs du canton de Berne voisin, à quelques kilomètres de chez nous, ont proposé le fameux menu. De nombreux jurassiens ont profité de l’aubaine et on s’en est ému jusqu’au Parlement jurassien. Le Gouvernement a réagi pour dire haut et fort qu’il réprouvait ce tourisme transcantonal. Regretterait-il que la frontière entre Berne et Jura ne soit pas fermée, on pourrait presque le penser ?
Tu vois, mon cher Jacan, qu’elle soit nationale ou cantonale, la frontière s’est invitée de manière parfois inattendue dans les stratégies et débats de crise. Co-fondateur du Forum Transfrontalier, je ne doute pas que cela nourrira ta réflexion et stimulera tes neurones. Pour notre plus grand plaisir et nos débats à venir.
Stéphane Berdat, Porrentruy, le 19 novembre 2020