Comment ne pas parler ici du prix littéraire remis en ce début d’année à Thomas Flahaut, lauréat du Roman des Romands avec Les nuits d’été.
Laissons la critique du livre aux exégètes. Le Forum Transfrontalier se plaît, quant à lui, à relever qu’un jeune auteur – il en est à son deuxième roman publié – prend pour cadre de son récit l’espace transfrontalier jurassien. La géographie est imaginaire, la toponymie réelle. Pour les connaisseurs de l’arc jurassien, le repérage est impossible bien que ses localités y soient évoquées. Le récit se déroule entre Besançon, Montbéliard et La Chaux-de Fonds, Bienne ou Delémont ou encore Boncourt, Les Verrières et Vallorbe. On y retrouve une manière des Verrières à la Stendhal. Le texte met la lumière sur une génération de jeunes français, à la vingtaine bien amorcée, frontaliers par nécessité plutôt que par choix. Peut-être faut-il y voir ce qui a plu au jury des jeunes Romands, leur quotidien et leur mode de vie y trouvent une forme d’écho dans le propos. S’y joue une romance douloureuse et tragique, des amitiés de bande, viriles, au goût de vitesse et de colère, de rage et de violence rentrée, un monde de jeunes adultes en quête de soi.
Hormis cet aspect de la trame romanesque, le texte ouvre sur plusieurs niveaux de lecture. Il en est un qui le traverse, prenant pour prétexte initial la frontière des États, qui sert à décliner ses autres possibles, entre – jeunes et vieux, riches ou pauvres, ouvriers et étudiants intellectuels, nature et ville, jour et nuit, sécurité et insécurité du travail… Il transforme l’objet en thème. À partir de la frontière comme notion politique, l’auteur, originaire de Montbéliard et vivant à Lausanne, nous invite à investiguer ses différentes déclinaisons : sociale, familiale, générationnelle, professionnelle… Il semble nous dire qu’elle est partout, constitutive de nos vies, peut-être même lui est-elle nécessaire. La frontière n’en n’est pas pour autant rigide et figée. Elle calibre nos rapports, les orientent, mais aussi, elle change au fil du temps. Les frontières sont poreuses, par la volonté de ceux qui les gèrent ou les subissent. La frontière peut être vue comme marqueur – ce qu’il y a de part et d’autre – autant que « démarqueur » – ce qui les différencie l’une de l’autre. Si l’intérêt du propos est certainement dans le traitement élargi et différencié du thème de la frontière, iI est peut-être aussi dans le rappel de l’imprécision et de la volatilité de son tracé, autant que dans la porosité de son statut.
Il faut saluer l’écriture souple qui rend la lecture du roman agréable. Le récit est fluide et crédible. Et parmi ses nombreuses qualités, la réflexion sous-jacente sur le thème de la frontière comme phénomène à large spectre, à composantes socio-culturelles prégnantes, constitue une des forces du texte, et non des moindres.
Thomas Flahaut
Les nuits d’été
Éditions de l’Olivier 2020
218 pages
Pour prolonger la lecture :
- https://www.24heures.ch/le-roman-des-romands-celebre-les-nuits-dete-220122476996
- https://www.rts.ch/info/culture/livres/11551257-les-nuits-dete-une-jeunesse-en-nage-contre-la-machine.html
Bernard Woeffray, le 9 mars 2022