LE SCEAU DU DOUBS
FORGES DE FRAISANS LE 7 JUIN 2014
Longtemps être transfrontalier fut regardé comme suspect.
De part et d’autre de la frontière le transfrontalier est celui qui transgresse, qui joue de la porosité de la ligne de démarcation entre deux pays qui elle, souvent, au contraire, aime à jouer les intangibles.
Être transfrontalier s’est de fait s’installer dans la philosophie du goéland chère à Kenneth White, ni tout à fait mer, ni seulement terre, mais rivages.
Accepter de se saisir comme un être essentiellement rivage. L’un et l’autre, l’un est l’autre comme dans ces tableaux de Boudin où sable océan et cieux se confondent.
Préférer habiter la ligne de crête, la poursuivre comme une capacité ultime à voir les deux côtés du monde et ne pas se heurter perpendiculairement à la frontière, refuser une destinée borgne.
Passer de l’un à l’autre ou mieux encore suivre la berge de la rivière-frontière, passer par cet ourlet fragile que les temps ont façonné avec plus ou moins de bonheur ici la Suisse là la France et entre deux : nous.
Or, si cet à peu près du monde, cette ambiguïté géopolitique, pouvait à l’égard d’un univers d’états-nations être au mieux assigné à résidence en zones tampons, voilà que la réalité globale change la donne.
Savoir composer à partir des deux histoires se sentir à l’aise dans une non détermination a priori, rechercher avec passion les paysages des chemins de contrebandiers, quais de halage ou sentiers à flanc de montagne, provoquer la rencontre et l’accident se moquer de la prétention à tout contrôler et, pour comme les anciens Doges de Venise, savoir jeter sa bague dans la lagune pour mieux en épouser l’onde, sont autant de raisons de s’embarquer sur de nouveaux Bucentaures.
Car notre « sceau du Doubs » relève de cet anneau là, jeté en mer comme en des épousailles glorieuses qui n’aliènent pas mais libèrent.
Des photographies du workshop animé par Arthur Babel aux installations et invitations de Dominique Bouteiller et de ses vouivres « fumeuses » à plaisir, des vidéos sélectionnées par Laurent Devèze et Julien Cadoret dans ces veilleurs qui refusent de jouer les miradors et se font vigies, à l’accueil de paroles ouvertes et de tables rondes conçues et animées par le Forum Transfrontalier et l’ISBA : tout concourra à vous faire éprouver cette existence transfrontalière non comme un handicap ou une simple particularité trop singulière mais comme une énergie propre à inspirer les meilleurs d’entre nous et d’accepter une posture capable de nous faire mieux comprendre le monde contemporain . A cet ensemble s’ajoutent de nombreuses réalisations plastiques dont celles de Coralie Bardey et Rodolphe Huguet ainsi que des interventions de l’ARC performance de L’ISBA.
Mais ces interventions pour sincères et spectaculaires qu’elles soient ne peuvent suffire en elle-même à vivre pareille expérience.
Il nous fallait trouver un lieu susceptible par sa nature même d’être en résonance avec de telles préoccupations. Or, les Forges de Fraisans fières de leur caractère patrimonial industriel (c’est en leur sein que se sont forgés dit on les rivets du Grand Palais lors de la fameuse Exposition Universelle) situées au bord du Doubs dans un paysage pittoresque et stratégiquement déterminé ne pouvait dans leur vocation de centre culturel interdisciplinaire qu’offrir un accueil adéquat à notre manifestation. Leur caractère « glocal » par vocation puisque ses productions fameuses irriguèrent le monde manufacturier d’alors, comme leur enracinement près d’une rivière symbole dans un site empreint d’une réelle grandeur nous ont convaincu d’organiser cette première session du Sceau du Doubs dans cet endroit magique où peuvent se rencontrer sans artifice les contes et légendes du terroir et les réflexions philosophiques les plus universelles.
Laurent Devèze, Directeur de l’ISBA, Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon, le 8 mai 2014
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