Les bandes frontalières sous effets-frontière sont considérée comme des territoires dynamiques et favorisés par la présence de navetteurs qui profitent de salaires élevés, tandis que les consommateurs du pays voisin dopent la consommation locale. Ainsi, si ces territoires paraissent répondre aux attentes d’une population disposant de moyens financiers suffisant pour faire face aux dépenses de la vie quotidienne (loyer, frais de garde d’enfants, consommation courante, mobilité…) qu’en est-il des populations qui ne travaillent pas en Suisse et se retrouvent dans des situations de précarité ? Derrière le vernis des indicateurs classiquement utilisés (taux de chômage, revenu médian, taux de pauvreté monétaire, taux de natalité, espérance de vie à 60 ans, taux de création d’entreprises, etc.), se dissimulent des situations individuelles (familles mono-parentales, ouvriers/employés travaillant en France, personnes en handicap ou âgées, etc.) plus difficiles à vivre dans ces territoires.
Un travail de recherche comptant pour l’obtention du Diplôme d’Etat en Ingénierie Sociale (DEIS) porté par l’IRTS de Franche-Comté, et de Master 2 Enquêtes socio-anthropologiques et territorialisation, porté par le Laboratoire LASA de l’Université de Franche-Comté, pose la question de problématiques sociales spécifiques à l’ombre de la frontière, que ne perçoivent pas forcément les acteurs politiques locaux. Appuyés sur une solide méthodologie d’enquête, les résultats que nous livrons sont sans ambiguïté : il faut accompagner les travailleurs sociaux d’outils spécifiques pour asseoir un accompagnement des situations les plus complexes, rencontrées en zone frontalière dans l’Arc jurassien.
Les enquêtes menées en quatre temps ont permis de caractériser les effets-frontière grâce à une approche documentaires, de repérer les effets qui font sens pour l’action sociale grâce à une enquête qualitative, de mesurer les effets-frontière pour l’action sociale grâce à une enquête qualitative et enfin d’effectuer un focus sur le cas des frontaliers ayant perdu leur emploi et ayant recours à l’action sociale. Il en ressort que certains champs de l’action sociale sont particulièrement soumis aux effets-frontières, comme le logement, l’insertion sociale et professionnelle, le budget des ménages. Au-delà de ces résultats, lorsqu’on s’attache à décrire des situations individuelles, comme celles des personnes ayant connu la perte de leur emploi frontalier, il apparaît qu’il s’agit d’une catégorie notable de demandeurs de l’aide financière auprès des services de l’action sociale, qui cumulent des ruptures de liens. S’engagent dans de nombreux cas des parcours qui illustrent un décrochage social massif qui placent les personnes accompagnées dans des situations qui nécessitent des accompagnements particulièrement appuyés.
Face à ces situations, les travailleurs sociaux semblent manquer d’outils même si plus largement des dispositifs expérimentaux sont mis en place comme des sessions d’échange autour de la question du surendettement très fréquent dans ces territoires ou encore des logements partagés pour les jeunes actifs du territoire en peine pour se loger. A ce titre l’étude montre combien l’enjeu d’équilibre du territoire est crucial en permettant une accessibilité partagée au logement et aux services afin de favoriser la cohésion de la population. Mais au-delà d’expérimentations ponctuelles à mener, se joue la question d’un meilleur accompagnement des acteurs des métiers du social vis-à-vis des logiques transfrontalières et notamment :
- Une nécessaire acculturation, transfrontalière cette fois, visant à promouvoir la compréhension du système social et d’action sociale suisse afin d’accompagner au mieux certains frontaliers déchus dans un accès aux droits qui n’est peut-être pas que français même après un licenciement. L’interconnaissance des dispositifs devrait être renforcée à minima en ce qui concerne les professionnels français ;
- Une construction, à l’échelle des départements, d’une meilleure coopération transfrontalière en action sociale. Encore une fois cette question n’apparaît pas mobilisatrice au vu des indicateurs locaux, alors que de réelles opportunités pourraient être saisies en appui sur les dispositifs suisses moyennant une interconnaissance à construire. Ceci engage par exemple la création d’un poste d’agent de développement transfrontalier adossé à la direction territoriale de l’action sociale départementale.
Cette étude montre clairement que les travailleurs sociaux évoluant en zones frontalières, accompagnent des situations spécifiques sans être dotés des outils adaptés pour y répondre. En ces temps de disette financière, peut-être serait-il intéressant de faire preuve de pragmatisme de manière à mieux articuler des dispositifs que les différences institutionnelles isolent alors que les multiples interactions transfrontalières induisent des difficultés spécifiques pour les ménages.
Alexandre MOINE