A propos de la bande frontalière de 30 km
En ce début d’année 2021, face à l’évolution insatisfaisante de la situation sanitaire, la fermeture des frontières est apparue à nouveau comme une, sinon la mesure à mettre en œuvre pour contenir la pandémie. Les présidents des principaux partis de Suisse ont appelé de leurs vœux un régime de contrôle strict aux frontières, contrôle que le Gouvernement français n’a pas hésiter à décider.
Même si, depuis une année, tous les gouvernants ont affirmé que le virus n’avait pas de frontières, ces dernières n’en sont pas moins devenues des lieux majeurs d’expression des missions régaliennes des Etats. Vu de Berne, Paris ou Berlin, ces restrictions frontalières apparaissent sans doute comme un moindre mal, dès lors que la libre circulation des biens est assurée et que les obligations particulières liées à la pandémie ne concernent pas les travailleurs frontaliers. Mais qu’en est-il pour les territoires adossés à la frontière ?
Alertés par l’appel des présidents de partis suisses, les autorités des cantons de la Suisse du Nord-Ouest ont réagi promptement et ont adressé un courrier au Conseil fédéral affirmant que les fermetures de facto des frontières et les contrôles frontaliers proposés par les présidents de partis étaient difficilement applicables dans la pratique et qu’ils n’étaient donc pas une solution. Ont-ils été entendus ? Sans doute puisque les autorités fédérales n’ont pour l’heure pas donné suite aux appels des présidents de partis. La situation se présente différemment en France. Le 29 janvier dernier, le Premier Ministre annonçait des mesures de restriction de déplacement visant à contenir la pandémie de Covid-19. L’entrée sur le territoire métropolitain français depuis un pays de l’espace européen était, à compter du 1er février, soumise « à la présentation du résultat négatif d’un examen biologique de dépistage datant de moins de 72 heures avant le départ ». La frontière n’était certes pas fermée, mais c’était tout comme et nous avons eu le sentiment désagréable de revivre la situation de mars et avril 2020. Ce n’était pourtant pas tout à fait le cas, car les mesures prises en cette fin janvier 2021 comportaient une disposition tout à fait réjouissante : elles introduisaient un régime d’exception pour les habitants de la bande frontalière identique à celui des travailleurs frontaliers. Cette reconnaissance du fait frontalier était d’autant plus remarquable qu’elle émanait d’un Etat centralisateur peu enclin, jusqu’à un passé récent, à prendre en compte la diversité des territoires et leur singularité. Certes les dispositions de mise en œuvre de ce régime d’exception prêtent à discussion. Les bassins de vie transfrontaliers ont été limités à un rayon de 30 km autour du domicile des résidents, ce qui a conduit les habitants concernés, et les douaniers, à sortir cartes et compas pour définir avec précision jusqu’où s’étendait les territoires de libre circulation. Et chacun de se demander selon quels critères cette limite de 30 km avait été fixée. On peut naturellement débattre de son bien-fondé et des effets loufoques ou désolants de son application, il n’en demeure pas moins que la réalité d’un bassin de vie transfrontalier ne se limitant pas aux seuls travailleurs frontaliers a été reconnue officiellement. C’est une avancée remarquable, d’autant plus exceptionnelle qu’elle s’est produite en un temps de crise où la méfiance de l’autre est exacerbée. Ce n’est pas un aboutissement, mais peut être une base renouvelée à partir de laquelle la réflexion sur les défis, les opportunités mais aussi les contours des bassins de vie transfrontaliers pourront être menées.
Le Forum Transfrontalier ne manquera certainement de s’engager dans cette voie.
Stéphane Berdat, Porrentruy, le 9 février 2021