La coopération transfrontalière est sans conteste un domaine où l’ampleur de la complexité des relations entre les acteurs est la plus palpable. Alors que la frontière filtre les relations et les flux, elle provoque de multiples effets qui ne cessent de provoquer des dynamiques locales frontalières quelques fois difficiles à accompagner.
Deux rapports récents illustrent les difficultés à coordonner les actions de coopération depuis la France. Menées indépendamment, l’une de mars 2021 à mars 2022 (Prendre la mesure de la proximité de la Suisse, juin 2022), l’autre de mars 2022 à juin 2022 (La coopération transfrontalière des collectivités territoriales, Inspection Générale de l’Administration Générale, juillet 2022), elles reposent pourtant sur la même logique d’audition des acteurs français de la coopération transfrontalière française pour comprendre comment les collaborations franco-françaises s’organisent.
Dans le premier rapport qui repose sur une auto-saisine du CESER Bourgogne-Franche-Comté, le groupe de travail constate que le paysage de la coopération transfrontalière est bien morose, avec un sentiment de dépendance à la politique et à l’économie suisses qui marque la bande frontalière française. C’est donc sans surprise que la vision de la Suisse est très formatée, sans nuances et sans recherche d’accroches possibles afin d’engager un dialogue vers la coopération. Cette situation est renforcée par le sentiment qu’il n’y a plus d’impulsion politique et technique à l’échelle régionale alors que les attentes des échelons infrarégionaux sont importantes, sans prérogatives spécifiques afin de les accompagner. Alors que la coopération instituée existe, arcjurassien.org et sa déclinaison arcjurassien.fr, ces structures semblent peu connues, il en résulte une quasi-absence de connaissance et de prise en compte de la stratégie de coopération transfrontalière instituée.
Six grandes préconisations pointent la possibilité d’améliorer les jeux d’acteurs autour de la coopération transfrontalière avec la Suisse en renforçant par exemple le projet politique et en le déclinant clairement à différentes échelles loco-régionales, ou assurant une nécessaire acculturation transfrontalière ou encore en revisitant la coopération instituée pour porter une vision cohérente vis-à-vis des partenaires suisses. La coopération infrarégionale doit être renforcée au regard des enjeux locaux, et cela interroge logiquement les logiques supra-régionales et notamment la place de l’Etat dans la coopération
Le deuxième rapport fait suite à une mission confiée à l’inspection générale de l’administration, centrée sur les outils dont disposent les collectivités territoriales pour intervenir dans le domaine de la coopération transfrontalière en France. Malheureusement, l’Arc jurassien n’a pas été pris en compte, les auteurs expliquant avoir privilégié les territoires d’agglomération qui présentent des continuités spatiales et organisationnelles. Seule la Préfecture et l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi que les départements de Haute-Savoie et de l’Ain ont été auditionnés.
Il est relevé, alors que les coopérations se multiplient à toutes les échelles, qu’il est impossible d’établir une séparation totalement étanche entre le domaine de l’Etat et celui des collectivités territoriales. Il s’agit alors plutôt de s’adapter à chaque territoire, les outils juridiques existants devant permettre cette approche pragmatique, sans qu’il soit besoin d’en créer de nouveaux. Mais, il apparaît que le paysage actuel manque trop souvent de cohérence, y compris dans des espaces où la coopération transfrontalière semble installée de longue date appelant une meilleure coordination. Il est alors clairement proposé un effort de coordination au niveau national, relevant au premier chef de l’Etat, afin de mieux structurer l’échange avec les collectivités transfrontalières. Mais aux échelons décentralisés, les efforts d’acculturation sont trop faibles, appelant la mise en place de formations adaptées, une meilleure diffusion de l’information, pour lui permettre de s’investir dans cette matière souvent essentielle pour les équilibres territoriaux. il est nécessaire de contribuer à une meilleure structuration des démarches des collectivités territoriales. Cela passe par « un effort de formation des élus comme des fonctionnaires territoriaux, nécessaire pour appréhender la complexité des démarches transfrontalières ». Cela suppose aussi « une attention accrue à l’articulation des initiatives et projets, les cadres contractuels de droit commun entre Etat et collectivités territoriales pouvant fournir un point d’appui utile pour aller dans ce sens ». Les 12 recommandations placent les préfets en situation de pivot, en appui sur les outils loco-régionaux existants ainsi que sur les dispositifs contractuels, en les acculturant aux subtilités des pays frontaliers.
Un diplôme pour renforcer l’acculturation franco-suisse pourrait répondre à l’un des dysfonctionnements que pointe les rapports. Il s’agit avant toutes choses de se fonder sur des postures pragmatiques, en organisant mieux l’existant et en privilégiant l’interconnaissance et la circulation de l’information tant d’un point de vue vertical que transversal. La question de l’acculturation pourrait trouver des solutions au travers de formations adaptées, à ce titre les universités de Franche-Comté et de Neuchâtel (à minima pour l’Arc jurassien) pourraient jouer un rôle en créant une formation de type « Diplôme universitaire » (DU) qui permettrait de développer une interconnaissance qui fait défaut dans les différentes thématiques de la coopération transfrontalière.
Il demeure maintenant à l’échelle de l’Arc jurassien franco-suisse à engager une réflexion similaire dans la partie suisse et à proposer des actions concrètes qui permettent d’instaurer un co-pilotage transfrontalier connu de l’ensemble des acteurs techniques et politiques y compris au sein des différents services que la fusion régionale française a pu éloigner de ces questions pourtant primordiales pour un développement transfrontalier cohérent.
Alexandre MOINE
Membre du Comité Directeur