STRATÉGIE TERRITORIALE DE DÉVELOPPEMENT DE LA CTJ ATELIERS 2014-15 DE DELLE (2), MORTEAU, VAL-DE-TRAVERS ET LE SENTIER CONSULTATION
Positionnement arrêté en Bureau Exécutif du Forum transfrontalier
réuni à Morteau le 19 janvier 2015
Changer de focale pour une autre (meilleure) coopération transfrontalière
Introduction
Nous observons depuis deux décennies une coopération transfrontalière qui peine à émerger de manière forte et intégrée à l’échelle de l’Arc jurassien franco-suisse. Il ne manque cependant pas de bonnes volontés et de dynamisme pour porter la coopération même si en des périodes passées c’est avec plus ou moins de bonheur qu’elle s’exprimait. Mais alors de quoi souffre cette coopération, comment mettre en œuvre des réflexions et des actions efficientes ? Cette courte analyse se propose d’aider à comprendre comment, en faisant un pas de côté, il est possible d’envisager autrement la coopération transfrontalière, en regardant autrement les territoires en jeu et à enjeu, en redonnant finalement du pouvoir aux échelons locaux, dans un cadre régional et transfrontalier décomplexé.
Les enjeux du développement transfrontalier
Comme nous l’avons montré à plusieurs reprises, le travail frontalier constitue la pierre angulaire du développement des territoires transfrontaliers, auquel peut s’ajouter ponctuellement le développement de services influencé par les différentiels de prix. Dans le premier cas, il apparaît que les effets sont très marqué, tant au niveau des transports, de la localisation des entreprise, de celle des logements et enfin d’une économie résidentielles de plus en plus marquée (services à la population). L’organisation spatiale qui en découle est caractéristique des dynamiques et jeux d’acteurs qui se jouent alors, puisque les uns et les autres ont pour principal objectif de diminuer les temps de transport qui s’expriment par rapport à la contrainte des points de passage transfrontaliers. Il ressort de ces constats un développement de plus en plus intégré de certains territoires transfrontaliers (Aire urbaine du Doubs), alors que d’autres sont impactés, mais sans que des dynamiques claires voient le jour (Axe Pontarlier-Vallorbe et Val de Travers ou Le Brassus-Bois d’Amont). On le comprend, le regard en termes d’aménagement du territoire se doit de prendre en compte ces enjeux spatiaux, néanmoins très corrélés à des jeux d’acteurs complexes qui, pour le coup, ne relèvent pas seulement de la dimension locale, tant leur prise en compte requiert de moyens. Ainsi, devrait-on logiquement voir l’Etat, les collectivités territoriales, les intercommunalités la société civile, les entreprises, et certains dispositifs spécifiques (parc naturels régionaux), collaborer autour des dynamiques à créer, à accompagner, à guider de manière située.
Ce premier constat en induit un deuxième. La complexité des dynamiques à l’œuvre conduit à devoir envisager globalement, du moins durant un temps donné, certains enjeux. Il en va ainsi de la localisation des entreprises ou des services qui, inévitablement, nécessite de convoquer la dimension des transports et celle du logement et vice-versa, auxquelles on ajoutera la formation, la recherche et le développement, etc. Cela signifie que chaque projet doit être quasiment considéré de manière transversale, et non pas seulement thématique, puisque relevant systématiquement de l’ensemble des entrées classiques, économie, transport, environnement, le tout influençant clairement les conditions de l’émergence d’une identité transfrontalière, certes lente et laborieuse, mais à l’œuvre dans l’Arc jurassien franco-suisse (Travaux du FT – Identité transfrontalière) et qui doit se cristalliser en des lieux donnés.
Le troisième constat est un truisme, le caractère transfrontalier démultiplie les acteurs en jeu et les espaces impactés par les différentes dynamiques. Au mille-feuille français, il faut alors ajouter les spécificités de la gestion et de l’aménagement du territoire suisse. Dès lors, la gestion de chaque projet doit prendre en compte les différences institutionnelles, les questions de vocabulaire, les Lois en vigueur, autour d’acteurs qui se reconnaissent plus ou moins, d’autant qu’ils relèvent de métiers différents et sont souvent localisés hors des territoires transfrontaliers à enjeu, au gré des organisations spatiales locales et des armatures urbaines. Dans le cas de l’Arc jurassien, les centres de commandement sont plutôt situés en piémont, Besançon et bientôt également Dijon ; et Neuchâtel ou Lausanne, avec une exception pour le Canton de Jura.
Ces trois enjeux conditionnent l’efficience des dispositifs de soutien à la coopération transfrontalière et, en priorité ,la gouvernance, qui doit inévitablement se mettre en place pour guider cette coopération. Or, les postures actuelles demeurent relativement classiques, donnant la priorité à des groupes de travail thématiques (économie et tourisme, transport et mobilités, aménagement et développement durable du territoire, culture et identité transfrontalière), comme présentés à Morteau fin décembre 2014. Nous pensons que ce type d’organisation est dépassé dans l’Arc jurassien, dominé par un archipel de petites villes frontalières (au contraire des coopérations franco-genevoise ou trinationale de Bâle fondée sur des agglomérations importantes), par un retard certain dans la mise en œuvre de documents d’orientation en termes d’aménagement (lié à la faiblesse de l’armature urbaine et des gouvernances associées), par une dissémination des acteurs, etc. Il convient par conséquent de changer de regard, d’adapter la gouvernance et le portage du projet de coopération transfrontalière à la spécificité de l’Arc jurassien
Changer de regard pour aménager
Les constats que nous venons de dresser ne sont pas nouveaux, ils orientent systématiquement et profondément les actions transfrontalières en les contraignant fortement, notamment lorsqu’il s’agit de leur gestation et de leur mise en œuvre. Multiplication des partenaires, des regards, des interprétations, interrelations entre les phénomènes, masquent souvent une réalité de terrain qui peine à se construire et brouille ces mêmes regards et interprétations. Le cercle est vicieux, parce que les outils mis en œuvre ne sont pas les bons, parce qu’en lieu et place de segmenter il faudrait réunir. Les principes, maintenant admis dans toutes les sciences, qui consistent à rechercher ce qui unit les phénomènes dans une approche holistique (globale), sont rarement mis en œuvre parce qu’à priori ils convoquent une focale (le local) qui révèle l’hétérogénéité et l’autonomie. Derrière, se profile dans les croyances tenaces, l’impossibilité de généraliser une approche, le cas particulier qui ne permettra pas la valorisation de l’action financée.
Changeons de regard… Après vint ans d’immersion dans le domaine de la coopération transfrontalière, nous avons appris que la coopération portée de manière thématique peut avoir un sens lorsqu’il s’agit de mettre en réseau ou de jeter un regard global sur des phénomènes dont l’ancrage spatial est faible. Mais lorsque les enjeux, au contraire, sont fondés sur des réalités fortement spatialisées, les approches thématiques ne permettent pas de saisir et d’accompagner la réalité complexe. Pendant plusieurs décennies, la CTJ s’est inscrite dans une logique de soutien à la coopération transfrontalière fondée sur le lobbying, en prise directe avec les acteurs agissant à différentes échelles, et en partie sur la mise en place de commissions ou de groupes de travail dont les entrées étaient thématiques. Le résultat, des réflexions impliquant les acteurs faîtiers à différentes échelles (cantons, départements, région), les services ad hoc, et liant les acteurs de proximité (associations de développement, communes, etc.), débouchant rarement sur des mises en œuvre concrètes de proximité. Plus récemment, des dispositifs opérationnels ont vu le jour (plateforme de covoiturage), qui fonctionnent et montrent justement la voie à suivre en matière de coopération.
Suite à la réception de l’étude consacrée à la mise en place d’une stratégie de coopération transfrontalière, menée par la MOT fin 2013, des ateliers ont été mis en place par la CTJ dans l’Arc jurassien, ils s’appuient sur les quatre aires de coopération principales qui se dessinent depuis plus d’un quart de siècle. Lors de ces ateliers, outre les quatre axes de développement proposés, des actions thématiques ont été mentionnées (économie et tourisme, mobilité, aménagement du territoire et développement, culture et identité transfrontalière), sous-tendues par la mise en place de commissions ou de groupes de travail. Ces entrées ne sont pas nouvelles et ont déjà été portées par la CTJ il y a une vingtaine d’année, et il demeure un fort risque de déperdition d’énergie. Nous pensons que cette manière d’aborder la coopération a vécu, compte tenu des limites que nous avons précédemment évoquées. Surtout, de nouveaux acteurs émergent (Parc Naturel Régional du Doubs, Aire Urbaine du Doubs soutenue par la mise en place d’un Groupement Local de Coopération Transfrontalière, Parc Naturel Régional du Haut-Jura), d’autres vont progressivement voir leur compétences accrues dans une perspective d’aménagement du territoire (intercommunalités porteuses de SCOTs en France). Les acteurs locaux qui ne s’exprimaient qu’au travers des aires de coopération devenues atones (seule l’aire Mont d’Or-Chasseron continue d’exister officiellement), sont prêts semble-t-il à porter des projets de coopération, encore faut-il les pouvoir les soutenir de manière efficace, sans oublier que certaines coopérations s’expriment à d’autres échelles.
C’est pour cette raison que nous proposons de changer de méthode pour guider les projets de coopération transfrontalière :
- Il faut se centrer sur les aires de coopération, s’appuyer sur les ingénieries locales et les coordonner dans les quatre thématiques proposées, en créant une commission chargée de l’accompagnement des aires de proximité et PNR associés. L’Aire Urbaine du Doubs plus ou moins associée au PNR du Doubs peut constituer un premier exemple pour déployer cette stratégie ;
- Il faut créer une commission dédiée aux informations transversales et chargée de promouvoir concrètement un agenda culturel transfrontalier dans la perspective de la mise en place d’une identité culturelle transfrontalière, l’échange d’information transfrontalière aux techniciens et élus de manière à créer une culture politique partagée ;
- Il faut promouvoir la mise en réseau d’acteurs (Musées, OT, Uni, villes, etc.) avec le soutien d’une commission ad hoc, chargée explicitement de créer les conditions de leur existence et de leur maintien.
En déployant cette nouvelle manière de soutenir la coopération transfrontalière, la CTJ peut utilement contribuer à :
- Promouvoir une identité transfrontalière en partant des relations de proximité, articulées entre elles autour d’un projet de développement intégré ;
- Accompagner la fondation de cette identité de manière à créer des socles de connaissance partagés autour de l’accès à des informations courantes, fréquemment échangées et partagées ;
- Créer les conditions du partage de la connaissance par le réseautage d’acteurs spécifiques.
Ce sont trois champs de coopération complémentaires, articulés, embrassant l’ensemble des thématiques (sans exclusive) qui apparaissent alors comme vecteurs de promotion de la coopération transfrontalière. Le Forum Transfrontalier, acteur attentif de la coopération et du développement transfrontalier s’inscrit dans cette logique, qui consiste à la fois à promouvoir les acteurs locaux qui connaissent avec précision les attentes des habitants, leurs habitudes ; tout en constituant les éléments (données, informations, connaissances) d’une identité commune et activant la mise en réseau de certains acteurs clés.
Pour le BUREAU EXECUTIF (BEX) du Forum transfrontalier Arc jurassien comtois et suisse
Morteau, le 19 janvier 2015
Jacques-André TSCHOUMY
Président, Neuchâtel
Alexandre MOINE
Vice-président, Besançon