Dans notre société, les débats d’idées ont pris une curieuse tournure.
Par exemple, sur des sujets techniques, tel que l’approvisionnement en énergie, nous avions l’habitude d’écouter des personnes qui avaient étudié la question. Certes, les spécialistes du sujet n’avaient pas tous la même opinion, certains mettaient l’accent sur le rendement des sources d’énergie, leur efficacité, d’autres sur le réseau de distribution ou encore sur la sécurité. Chacun devait réfléchir au sujet en appliquant aux arguments présentés son propre système de valeurs. Personne ne craignait de dire : « je ne me suis pas encore fait une opinion, ce n’est pas ma spécialité, je dois me renseigner ». Aujourd’hui chacun donne un avis et le dit très fort qu’il soit ou non motivé. Peut-être que certains parviennent de cette façon à mieux affirmer leur personnalité et c’est bien pour eux, en revanche, pour le débat de société, quel recul. Vous pensez que j’exagère ? Faites un petit exercice avec les gens qui vous entourent : demandez-leur si nous devrions envisager d’avoir recours à l’énergie nucléaire dans les 10 ans qui viennent ou y renoncer ? je constate que chacun a un avis très tranché sur la question, très peu de personnes répondent qu’ils ne savent pas. Demandez ensuite à vos interlocuteurs quels est le combustible d’une centrale nucléaire ? quels en sont les déchets qui résultent de l’exploitation. Est-ce qu’il y a des combustibles nucléaires sous forme de liquides ? Quelle est la nature des risques que nous courons ? Vous vous apercevrez que bien peu de personnes sont capables de répondre à la moindre de ces questions, pourtant toutes ont un avis immédiat pour dire qu’il faut ou non renoncer définitivement au nucléaire.
L’idée que toutes les idées ont la même valeur, quelque soient les compétences de ceux qui les énoncent me semble très gênante. Loin de moi l’idée que certains devraient avoir l’autorité de dire ce qui est juste, au contraire les explications de chacun devraient permettre de comprendre les problèmes. Le débat ne doit pas désigner un vainqueur et un vaincu, une personne qui a tort et l’autre qui a raison, mais donner aux auditeurs les moyens de se former une opinion personnelle sur le sujet. Il semble que les médias sont actuellement surtout animés par le taux d’écoute et malheureusement les affirmations péremptoires recueillent une plus forte participation que l’enrichissement des connaissances.
Pour ceux qui voudraient se rendre compte que le débat sur l’énergie nucléaire est accessible à tous, je vous recommande de lire Sciences et Avenir, La Recherche, mars 2022, p 30-45 qui doit se trouver chez tous les marchands de journaux.
Jacques Jacot
Fontaines, le 2 mars 2022