C’est l’histoire d’un livre qui passe de mains en mains en traversant la montagne. Ce roman propose un aller simple du Jura vers les tropiques, il inspire une correspondance moderne entre un homme et une femme par-dessus le Doubs…
Curieusement, c’était Valérie de Besançon – et non un de mes amis helvètes – qui m’avait parlé du roman des « Dix petites anarchistes » que l’écrivain suisse Daniel de Roulet a publié il y a trois ans, preuve s’il en est que la littérature ne connait pas de frontière.
Quelle histoire renversante que celle de ces jeunes femmes de St-Imier qui avaient décidé en anarchistes du terroir horloger propice à cette tournure d’esprit, de quitter leur pays, de quitter tout avec leurs enfants, chacune avec un « oignon » en poche, calibre de vingt lignes, premier modèle Longines, le 20A, de s’en aller loin, très loin jusqu’au… , non, pas au bout du monde mais aux confins de la terre habitée, descendre en bateau sur l’immensité de l’Atlantique, entre l’Afrique et la grande Amérique du sud, jusqu’à tout en bas, là où un méchant vent souffle en permanence, là où il fait toujours froid, au détroit de Magellan, à Punta Arenas, où elles tenteraient de vivre cette vie libre qui devait être la leur, sans mari, sans règles ni lois, pour tenter d’y refaire le monde à leur manière !
Nous sommes en 1873. Après dix ans de galère et de stratégies abracadabrantes de survie, elles se diraient qu’il fallait remonter, prendre à nouveau le bateau, de l’autre côté de la grande Amérique cette fois, aller là où il fait plus chaud, à la hauteur de Santiago de Chile, mais à 600 km à l’ouest de la terre ferme, dans la mer pacifique, pour accoster à une des îles de l’ARCHIPEL Juan Fernández, pour y vivre en liberté, se joignant à une autre communauté anarchiste, les colons de L’Expérience…
Valérie, je ne raconte pas la suite de cette folle histoire, façon de ne pas révéler la chute. Toi, membre du Forum Transfrontalier comme moi, dis-moi comment tu es tombée sur ce livre, comment tu l’as vécu et comment tu l’as associé à notre projet actuel de réfléchir sur notre région franco-suisse que nous nommons notre ARCHIPEL à nous ?
Walter
J’ai dû acheter ce livre à sa sortie en librairie, il y a à peu près deux ans.
Je ne connaissais pas le forum T, et ne m’intéressais pas spécialement à la Suisse.
La quatrième de couverture a certainement motivé ma retenue. On y lit une réalité documentée, palpable, celle de la ruralité et du début de l’industrie horlogère, qui fin XIX est tout aussi suisse que franc-comtoise. Les personnages apparaissent banals même s’il s’agit de 10 femmes ce qui fait certainement l’attrait du titre ; elles osent partir, elles osent franchir des portes sans savoir vraiment où elles vont, à l’équilibre d’une seule espérance. Et puis le temps du roman fait référence à la Commune de Paris qui est un moment historique que je trouve très important tant il concentre l’insoumission, la liberté, peut-être la naïveté originelle de celles et ceux qui n’ont pas d’autre croyance. L’itinéraire de la « partance » en Patagonie, à Buenos Aires, en passant par l’île de Robinson Crusoé ont par ailleurs durablement marqué mon enfance. Ce sont tous ces ingrédients qui m’ont attirée.
Pour autant, je n’avais pas lu ce livre jusqu’à ce que nous échangions ce mois d’aout, chez Alex M.
Je vous ai découverts chacun dans votre authenticité, ce qui est rare. Pascale était motivée par un projet assez inattendu autour de la notion d’archipel, mais nous nous sommes tous prêtés à sa suggestion qui nous rassemble aujourd’hui. L’archipel était à ce moment celui de nos échanges, disparates et interrogatifs.
Lorsque je suis rentrée, est-ce par hasard, j’ai lu ce livre, un peu interloquée par la confluence des lieux, des maux et des attentes. Le territoire de l’Arc Jurassien prenait corps, ou tout du moins je commençais à le ressentir dans ce va-et-vient entre les gens, l’espace vécu, sensible, arpenté, et l’Ailleurs recherché, poétique, politique et bien-sûr utopique. L’altérité devenait la force même du lieu.
Ce livre disait une quête comme un archipel céleste, et s’appuyait sur un réel précis, mesuré, horloger, un « oignon » à la main…
Voilà, cher Walter.
Valérie