L’offre d’un autre regard…
La plupart d’entre nous vivons dans la crainte de la pandémie, de ses effets sur notre société, sur nos vies, sur nos économies. Mais faut-il s’en satisfaire ?
Une émotion toute particulière, nouvelle et bouleversante, m’a touché le 4 avril dernier. Nous étions en plein confinement d’une première vague où nous découvrions, avec étonnement un virus dont nous ne connaissions finalement que le nom.
Ce jour-là, Lionel Baier, réalisateur suisse de cinéma, était interrogé dans le cadre du journal télévisé du soir de la chaîne nationale. Il se trouvait dans une rue vidée par les mesures de confinement, peu importe la ville. Interrogé sur les effets du confinement, il a eu ce propos : « Il y a quelque chose qui est étonnant, dont je pense qu’on a tous pu faire l’expérience et qui changera notre regard sur les villes que l’on traverse. « En référence à son métier de réalisateur, il ajoutait : « Les villes c’est un peu comme des films ; elles sont plus ou moins bien montées. C’est-à-dire qu’on voit plus ou moins comment leurs architectures fonctionnent et comment est-ce que l’urbanisme leur répond. Et en fait dans les villes qui sont désertes en ce moment, on peut vraiment assister au montage pur de ces villes et se poser des questions du comment elles sont agencées. […] Et peut-être qu’on aura un regard différent sur l’urbanisme maintenant qu’on aura vu la ville sans ses habitants, c’est-à-dire les bâtiments (sic, voulait-il parler des rues ?) sans les gens qui les traversent. […] Elles se dévoilent, nous parlent plus peut être, parce qu’elles ne sont pas en train d’être dans la séduction des gens qui les parcourent ; elles sont nues. Elles sont livrées à elles-mêmes, et donc ça les rend très affectées. »
Comment être insensible à cette lecture de l’espace, du territoire et des groupements humains. L’expérience de la redécouverte de son environnement immédiat, qu’il soit urbain ou naturel, donne des frissons. Faites-en l’expérience, aujourd’hui que l’ampleur du confinement s’est allégée. Les rues ne sont plus tout à fait vides, mais la vie sociale, commerciale et culturelle y est fortement réduite. L’expérience est sensuelle, quasi charnelle. Elle est aussi exotique. Vous avez certainement vécu la ville vide la nuit. Mais l’émotion n’est pas la même de jour. La ville – la campagne aussi – n’est pas dissimulée dans la pénombre, ses formes se révèlent, ses couleurs s’affirment. Le regard qu’on pose sur elle peut explorer des perspectives, des détails, des rapports, des rythmes, des contrastes, présents ordinairement bien sûr, mais comme dissimulés par la vie ordinaire. Il est vrai que la ville sans l’homme n’est pas tout à fait la ville, mais la ville sans l’homme, c’est aussi la ville. Elle s’offre et se dévoile, sans pour autant s’exhiber.
Je disais exotisme aussi. L’émotion de la redécouverte de son environnement proche n’est pas loin de celle que nous éprouvons lorsque s’offre à nous une ville – un paysage – que nous avons décidé de visiter et dont nous ne connaissons que le nom.
Pour l’urbaniste, pour le fou du territoire et de l’espace que je suis, ces quelques propos ont fait émerger en moi un impensé, présent en creux, et un flot d’émotions que je ne me lasse pas d’explorer.
A toute chose malheur est bon !
B. Woeffray/17.11.2020