Une étude de la MOT commandée par le Forum Transfrontalier présente un avenir sombre en matière de transports en commun transfrontaliers dans l’Arc jurassien.
A la demande du Forum transfrontalier, la MOT (mission opérationnelle transfrontalière) a procédé à une analyse – certes sommaire mais éclairante- sur la réalité des mobilités et offres de transports en commun aux frontières entre la Suisse et la France et l’Italie.
Un constat peu flatteur pour l’Arc jurassien
A la lecture des résultats de l’analyse, un premier constat, sans surprise, s’impose : la mobilité transfrontalière concerne au premier chef les déplacements des travailleurs frontaliers et la voiture est, et de loin (entre 90 et 98% des trajets concernés entre la France et la Suisse), le mode de transport le plus utilisé. Le report modal de la route vers le rail est donc quasiment inexistant.
Un deuxième constat apparaît tout aussi nettement : la situation est meilleure (ou moins pire) en termes de report modal quand il existe une offre de transport en commun adaptée aux besoins des frontaliers (horaires et fréquences).
Troisième constat : c’est dans l’Arc jurassien que les dessertes en transports en commun sont les plus pauvres et leur utilisation la plus confidentielle.
Source : Misson Opérationnelle Transfrontalière, novembre 2023.
Quels enseignements tirer de cet 3ème et désolant constat ?
Peu ou pas d’alternatives crédibles à la voiture
Il est courant d’affirmer que la géographie explique la situation. Il est vrai que les points de passage entre la France et la Suisse sont nombreux dans l’Arc jurassien et que l’absence de véritables axes de rabattement rend difficile et coûteuse une offre adaptée de transport publique. On observera toutefois que même sur les tronçons très fréquentés, quotidiennement surchargés à la limite du supportable, il n’est pas (ou peu) proposé d’alternative crédible à la voiture individuelle, et ce ne sont que 838 personnes sur 37 880 qui finalement utilisent les transports en commun pour leur déplacement entre France et Suisse dans l’Arc jurassien. Dans toutes les autres régions frontalières de la Suisse, y compris alpines, ces alternatives existent pourtant. En comparaison, l’Arc jurassien fait figure de parent pauvre.
A quoi cela tient-il ?
Manque de soutien politique
Assurément, les raisons ne sont ni géographiques, ni techniques. Elles sont donc plutôt d’ordre politique : il n’y a pas au sein de l’Arc jurassien de volonté politique clairement exprimée et parfaitement assumée de développer des offres transfrontalières de transport en commun. La meilleure preuve est que quand cette volonté a existé il a été possible de rouvrir un axe de chemin de fer transfrontalier entre Bienne et Belfort après 26 ans de fermeture. Cet élan politique transfrontalier n’a toutefois pas survécu à l’inauguration en 2018 de la ligne et de son tronçon Delle-Belfort électrifié et réaménagé. Les problèmes d’exploitation, qui sont rapidement apparus, illustrent parfaitement les défis et difficultés auxquels sont confrontés les politiques transfrontalières de transports.
Briser des tabous
L’interconnexion de deux systèmes de transport juxtaposés n’est en rien le garant d’une offre adaptée aux besoins transfrontaliers. Il faudrait, pour cela, sortir des logiques purement nationales d’exploitation et privilégier une approche réellement transfrontalière. A cet égard, il serait pertinent de dépasser, au niveau financement et gouvernance, le principe de territorialité stricte selon lequel chaque partie gère les portions de ligne de son territoire et en assume les coûts. En matière de transport, les investissements et principes d’exploitation d’un axe ou d’un réseau influent directement sur la qualité des dessertes en amont et en aval. Sur quelque ligne que ce soit, le développement de l’offre d’un côté de la frontière n’a pas d’impact positif sur le trafic de l’autre côté de la frontière si l’effort d’investissement s’arrête aux limites nationales. Dépasser le principe de territorialité dans le cas qui nous occupe reviendrait aussi à prendre en compte la réalité du trafic réellement transfrontalier, généré dans son immense majorité par le travail frontalier, et à développer une offre de transport qui s’adresse prioritairement au public concerné, au niveau des horaires, des fréquences et du financement. Faudra-t-il pour cela briser le tabou du cadencement strict, si chère à la Suisse ? Ou associer les entreprises au financement des liaisons dans le cadre de plans de mobilité ambitieux ? Ou mobiliser une part de l’impôt des frontaliers à cette fin ?
Prendre en compte la réalité du travail frontalier
En analysant, même sommairement, l’offre de transport en commun dans l’Arc jurassien, on n’a pas le sentiment que le report modal du trafic généré par le travail frontalier soit au cœur des préoccupations des politiques de part et d’autre de la frontière en matière d’offre de transport. Ainsi, sur 6 lignes transfrontalières 5 ne sont pas adaptées aux travailleurs frontaliers ! Cela tient-il au fait que ledit travail frontalier a plutôt mauvaise presse en Suisse comme en France et que certains partis en ont fait un épouvantail ? On entre alors potentiellement dans un cercle vicieux puisque les nuisances, bien réelles et quotidiennes, occasionnées par le trafic routier frontalier accroissent les sentiments négatifs à l’encontre des travailleurs frontaliers et n’incitent dès lors pas les politiques à trouver des solutions adaptées à leur besoins. Or, non seulement le travail frontalier est une réalité, mais en plus, au regard de l’évolution démographique de nos régions, il est appelé à s’intensifier. Cette évolution, qu’elle soit souhaitée, crainte ou décriée, n’en est pas moins inéluctable. Or, le frontalier qui emprunte les transports publics sur sol français pour venir en Suisse n’encombre pas le réseau routier de son canton d’accueil. Le gain est bien réel de part et d’autre de la frontière. Cette évidence devrait pousser les autorités suisses et française à dépasser le principe de territorialité et à prendre en compte les bassins de vie transfrontaliers ainsi que les enjeux environnementaux sur ces espaces.
Un avenir sombre … ?
Les annonces récentes concernant l’offre de transport sur les axes ferroviaires transfrontaliers de l’Arc jurassien, montrent que nous nous éloignons hélas, et toujours plus, de cet objectif. Or, sans une offre crédible de transport en commun, pas de report modal possible. Les bouchons matin et soir sur les axes transfrontaliers franco-suisse ont encore de beaux jours devant eux.
Stéphane BERDAT