MOUTIER, CARREFOUR DE L’UNITÉ DU JURA SUISSE RETROUVÉE
Le modèle d’autodétermination du Jura suisse est un modèle européen. Par une séquence inconnue jusqu’ici de votes en cascades, interrogeant la Confédération suisse jusqu’à sa plus petite unité, la Commune, un article constitutionnel bernois a permis que se prononcent successivement toutes les parties concernées par le projet de création d’un nouveau Canton suisse. Modèle technique, c’est sûr. Modèle novateur aussi. Mais drame pour plusieurs parties constitutives. Car ce schéma tout particulièrement démocratique a entraîné un corollaire malheureux. Ce modèle a divisé le Jura en deux camps, l’a démantelé, l’a charcuté. « Passage malheureux, mais passage obligé », me disait à l’époque Roland Béguelin, leader autonomiste. Passage assumé par les deux camps, malgré les mises en garde d’une Force politique très minoritaire à l’époque. Or ce pays était le mien, mes chemins d’enfance m’avaient conduit aussi souvent à la Promenade du Pavillon, au- dessus de Moutier, chez mes grands–parents maternels, Français installés en Prévôté, qu’à Pont d’Able, à Porrentruy, ville de ma jeunesse. Cette division d’un pays s’est corrigée sensiblement avec le retour de Moutier le 28 mars 2021. Ce jour-là, la dernière Commune appelée à s’exprimer, Moutier, a quitté le Canton de Berne auquel elle appartenait depuis deux siècles pour rejoindre le nouveau Canton du Jura. Moutier, capitale industrielle, Moutier, capitale culturelle, Moutier, carrefour de l’unité du Jura retrouvée, a relancé le 28 mars 2021 le débat enterré au début des votes en cascades, il y a bientôt cinquante ans. Voici que Moutier retrouve sa place, le centre. Voici qu’elle symbolise ce retour progressif à l’unité du Jura. C’est la fin d’un processus. Mais est-ce la fin de la Question jurassienne ? Certains l’affirment, souhaitant enterrer un débat qui a divisé trop longtemps. Mais qui peut assurer que la couronne prévôtoise ne changera pas d’avis un jour, elle aussi ? Qui peut assurer aujourd’hui que l’unité du Jura, maltraitée pendant près de 50 ans, ne va pas, un jour, émerger à nouveau en tant que valeur identitaire forte d’un Pays qui retrouve son âme ? « De Boncourt à la Neuveville », comme le dit l’hymne jurassien. Mais pas tout de suite. Les constructions démocratiques ont besoin de temps longs. Dans l’immédiat, le processus de scrutins en cascades est versé à l’histoire européenne comme un modèle tout particulièrement digne d’attention de résolution pacifique de conflits. Un Belfast réussi ? Un peu.
Jacques-André TSCHOUMY
Co-fondateur et a. président du Forum Transfrontalier Arc jurassien
Neuchâtel, le 21 avril 2021