Derrière le papier peint

Pascale Brenet

Pascale Brenet apprécie l’inspiration suscitée par deux textes de Georges Perec : « l’infra-ordinaire », à l’origine de ce projet collectif, mais aussi « tentative d’épuisement d’un lieu ». Elle est familière de l’Arc Jurassien et de ses habitants, qui partagent depuis des décennies les mêmes activités agricoles, productives et culturelles.

Avec ce projet photographique, elle a sillonné cette bande frontalière et a tenté de poser son regard vers ces objets d’une grande banalité, modestes et anecdotiques, plus sensibles et plus intimes aussi, ceux qu’on ne regarde pas. Elle a saisi l’infra-ordinaire dans une approche photographique spontanée, souvent frontale, se jouant peu de la lumière. Ses images minimalistes nous montrent une ruralité douce et poétique, souvent émaillée de touches de couleur, comme pour attirer notre attention à ce qu’on ne voit plus.

 

Biographie

Membre du Forum Transfrontalier, Pascale Brenet est venue à la photographie récemment, partant d’une sensibilité et d’une intense curiosité pour l’art contemporain, avec l’envie de construire des récits en images. Elle a participé à des formations avec des photographes dans le cadre des rencontres d’Arles : Claudine Doury, Diana Lui et Léa Crespi. Elle a réalisé en 2022 une première série arlésienne : « tentative d’épuisement d’un lieu : le printemps ». Elle travaille aujourd’hui sur deux séries : l’une, intitulée « je ne suis pas d’ici », se déroule dans le village suisse des Brenets, l’autre, intitulée « une terrible beauté », apporte un témoignage sensible sur la ville de Beyrouth.

Une mosaïque d’images pour voir autrement l’Arc Jurassien

Pascale Brenet

Des peintures rupestres aux murs d’images sur Instagram, en passant par les films de propagande, les bandes dessinées ou les histoires sculptées sur les chapiteaux d’une basilique, les groupes humains se construisent autour de récits mis en images. Au milieu de cette profusion d’images, celles créées par des artistes nous révèlent des regards singuliers. Elles nous touchent, nous questionnent, parfois nous dérangent. Elles s’adressent à notre sensibilité autant voire davantage qu’à notre intellect et nous invitent à aiguiser et transformer notre regard.

Vigile et aiguillon, le Forum Transfrontalière réinvente ses méthodes à chacun de ses cycles thématiques. C’est dans le cadre du cycle 10 qu’est né ce projet photographique collectif. Son objet consiste à montrer l’Arc Jurassien autrement, laissant de côté  les grands sujets, les vastes paysages, les vues d’ensemble du patrimoine, dans cette watch valley souvent considérée comme un eldorado : usines posées dans les vallées, haute horlogerie, architecture industrielle, excellence de la filière Comté, flux incessants de grosses cylindrées aux postes frontières…

Quatre photographes, familiers de l’Arc Jurassien ou le découvrant pour la première fois, ont croisé leur regard et nous apportent leur témoignage sensible ; de Villers le Lac à Pontarlier en passant par Morteau, des Brenets à Verrière de Joux en passant par La Chaux-de-Fonds et Le Locle, ils ont porté leurs regards de chaque côté de la frontière, suivant deux mots clés qui leur ont servi de fil rouge durant cette exploration photographique : l’infra-ordinaire et l’archipel.

Comme l’écrivait Georges Pérec : « Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m’ennuient, ils ne m’apprennent rien. (…) Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? (…) Peut-être s’agit-il de fonder enfin notre propre anthropologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l’exotique, mais l’endothique* ».

Répondant à l’invitation de Georges Pérec, les photographes ont porté leur regard sur le très ordinaire, cherchant à débusquer le sensible, parfois l’invisible. Ils ont exploré le petit, l’insignifiant, ce que le plus souvent nous ne regardons pas et ne voyons plus. Ils nous emmènent ainsi du familier à l’imaginaire, du particulier à l’universel. Leurs images nées d’un parcours binational effacent l’effet frontière et s’éloignent des cartes postales et des archétypes. Elles nous emmènent « derrière le papier peint* ».

L’archipel évoque l’insularité, un chapelet d’îles séparées ici non par l’océan mais par les paysages ruraux de ce territoire de moyenne montagne. L’archipel est un espace de contrastes : entre l’urbain et le rural, le luxe et la campagne, la technologie et l’agriculture, la tradition et l’innovation. L’archipel devient pour cette exploration photographique comme un réseau de pointillés qui dépassent et effacent le trait de la frontière. Il révèle un espace dans lequel se déroule une histoire commune pour les habitants de l’Arc Jurassien.

 

Le Forum Transfrontalier invite le visiteur à entrer dans cette mosaïque d’images qui montrent les éléments d’une appartenance commune, suspendue de part et d’autre de la frontière.

 

 

* Georges Pérec, l’infra-ordinaire, 1989 (ouvrage posthume), La librairie du XXIème siècle, Éditions du Seuil.